Masque octogonal pour maîtres d’illusion

Si le politique est le masque de l’économie triomphaliste alors le G8 en est le bal masqué annuel. Tout le malaise grandissant quant à la pertinence et la cohérence de cette institution, vieille maintenant de trente cinq ans, tend à exprimer un triple échec. Trois fois plutôt qu’une, le G8,   a fait mentir ses promesses, trois fois plutôt qu’une, le pouvoir des plus nantis a manqué à ses rendez-vous.A les voir aller, devant les encouragements des photographes et paparazzis qui les accompagnent ,ils inspirent peut être plus de pitié que de mépris. Pas,comme le veulent les mauvaises langues, parce que c’est  la confrérie des superpollueurs. Pas non plus parce que c’est une assemblée de brigands qui retiennent l’Afrique sous le joug du Sida car déterminés à ne pas commercialiser les brevets pour faire avancer la recherche. Je ne dirai pas non plus que sa carte la plus visible est devenue la répression massive  des manifestants qui assiègent les villes hotesses pour faire entendre leurs voix.Non, pas parce que son activité la plus connue du   est devenue la gestion des émeutes.  Je ne dirai pas non plus qu’elle tend à sacraliser l’omniprésence de la police,alors qu’ elle muselle la liberté de presse et d’expression . Non aucune de ces raisons.Mais surtout parce que le G8  c’est la conjonction de  trois illusions répétées et martelées le temps d’une fin de semaine ou parfois de quelques heures seulement.

C’est d’abord l’illusion quand aux idées. Elle est très vieille la croyance que ce sont les idées qui mènent   le monde. La barque de ce monde chaotique et houleux ne  tiendrait pas sans le  secours des idées. Combien de fois ne nous a-t-on pas rappelé que seules les idées ont du poids. Alors  rien de surprenant à ce  que les grands de ce monde se réunissent de temps en temps pour donner un  bon coup de balai  aux idées qui ne marchent pas trop bien(le crédit immobilier,les hedge fund,les programmes de retraite,les GES, la reconstruction de l’Irak, la relocalisation des détenus de Guantanamo, la couche d’ozone, les prix du pétrole…) et y aller de leurs propositions savantes quant à de nouvelles idées.C’est un dogme profondément enfoui dans les gênes de l’ homo sapiens, que cette totale soumission aux idées. Il y va du nécessaire primat de l’esprit sur la matière que les choses soient ainsi: si ça ne va pas, c’est que les idées n’étaient pas à la hauteur, alors rebrassons-les, échauffons ou réchauffons-les, agitons-les, en tout cas, jusqu’à ce que, comme disait l’autre, du choc des idées puisse jaillir la lumière. Le G8 est devenu le haut lieu par excellence de ce militantisme des idées.  C ‘ est l’illusion tenace et implacable  qu’il est encore possible de choisir, parmi les multitudes innombrables de peuplades et de civilisations de ces six milliards de têtes,  celles dont les idées sont si excellenes, si justes, si admirables, qu’elles devraient gagner d’office le  droit de les exporter et parfois même de les imposer au reste des habitants de la planète. Le G8 est fils de cette illusion double que non seulement il y a des idées qui devraient gouverner mais qu’ on peut les connaître, ces idées. Ils ne sont que huit mais ils ont la foi que les idées qui les habitent trouveront asile ou devraient le trouver sur toute la surface de ce sacré globe. Douce et irresistible illusion car il y a longtemps depuis que les idées qui dirigent ce monde ne viennent plus de l’occident.Longtemps depuis que le règne des idées (si jamais une telle chose a jamais été) est pour ainsi dire, morcelé, diffus, fragmentaire. Mais  n’allez pas croire que c’est là une illusion gratuite et nulle. Au contraire, Elle participe de la nostalgie générale   d’un temps ou les anciens capitaines des grandes puissances – les Ferdinand,les Henry,les Colbert, les Richelieu, les Machiavel,les Léopold…mandataient des missionaires dans le but d’exporter au reste du monde, connu ou inconnu, l’excellence des lumières occidentales. Le reste de cette foi aveugle dans les idées, on en connait la suite. Depuis que le politique est devenu , dans la foulée des désenchantements modernes, le serviteur de l’économique, depuis que l’état est devenu l’otage des diktats économiques et des volontés des multinationales, bref depuis que  les parlements sont devenus le prolongement politique du marchandage de la loi de l’offre et de la demande, le G-8 n’a  plus su comment ébaucher les lois de sa nécessité, il n’a pas pu inscrire dans l’outillage mental des citoyens du monde la raison d’être de son mandat. Puisque de toute façon les aléas du pouvoir échappent aux politique, puisque de toute façon, bon gré, mal gré, ce que Microsoft, Rio Tinto, Adidas, et Co veulent, Dieu le veut, alors on ne comprend pas tout à fait pourquoi il était encore nécessaire de tromper l’électorat mondial par une démagogie supplémentaire de la bonne intention, par un nouveau protocole de légitimation condamné d’avance à jouer l’illusion.

Deuxièment, l’illusion  quant au monde. L’anachronisme du G8 c’est qu’il repose sur la perpception aujourd’hui révolue d’un monde plein et entier,précis identifiable et homogène.Tout ce protocole de la photo de famille, toute ce rituel des amitiés n’est là que pour rappeler que le monde n’a rien perdu de son ancienne épaisseur, de ses contours rassurants de jadis. A l’heure ou les dieux ont fui le camp, le G8 se voudrait de jouer le nouvel Atlas portant le poids du monde sur son dos, défiant les terrorismes, confondant les messianismes. La petite photo de famille est là pour dire: regardez, rien n’a changé, les dieux ne sont peut être plus là, mais regardez, celui-là c’est toute la douceur millénaire de la France malgré la nervosité de sa constitution,celui-ci l’esprit même du   faste italien,même au coeur de la mêlée générale, celui-là encore,reconnaissez-le, vous le savez, c’est la face amoureuse de cette Amérique si longtemps attendue,la faconde toujours ensoleillée par son optimisme contagieux… voyez le monde devant vous, le monde tel que vous l’avez toujours connu. Le G8 est donc devenu,de même que plusieurs institutions semblables, des tentatives illusoires de refonder le monde, de suspendre sa divisibilité, d’arrêter son effritement permanent, bref, de rendre à ce cher monde toute l’épaisseur qui faisait qu’hier encore il tenait malgré tout.Car il y a longtemps, que le monde dans lequel nous vivons ne passe plus ni par l’Élysée ni par Washington, encore moins par Rome ou Ottawa, pour investir ses nouveaux héros. C’était là tout le tragique sanglant du geste d’al-Quaida. C’est encore le sens d’une multitude de groupes, de mouvements, de coalitions et d’alliances de toutes sortes, parfois explicites, mais souvent très diffuses et souterraines, dont la clé de fonctionnement réside dans une algèbre hermétique aux valeurs déclarées des majorités électorales, à mille lieues des sommets internationaux de l’octocratique confrérie. Foucault en inaugurant le concept de micropouvoir n’aurait pas pu mieux cristalliser l’essence des nouveaux rapports au pouvoir. Le G8 est l’héritier d’une conception  obsolète du pouvoir. Ou celui-ci émanait toujours d’un centre à partir duquel il se relayait ensuite dans la périphérie par des courroies bien identifiées et fortement investies. Ce monde là a disparu dans les cendres  des tours jumelles. Aujourd’hui le pouvoir n’est plus concentré dans une instance privilégiée et précise. Il obéit à un mouvement irrégulier, difficile à circonscrire,  loin des linéarités rassurantes, il épouse le contour abrut des migrations mondiales, il s’aventure sur l’abîme des langues oubliées, il côtoie les profondeurs meurtries des vaincus, il respire dans les antichambres chaotiques des associations d’étudiants, il court dans l’ombre discrète des réchappés des génocides, il s’appelle le mouvement altermondialiste, les associations de citoyens, les alliances écologiques, c’est l’initiative d’une célébrité qui ici défend une pétition ,c’est là la voix d’un activiste de la malbouffe qui vient de sortir un documentaire sur les aléas de l’industrie alimentaire, c’est là-bas le cri d’indignation d’une femme encore inconnue sur l’exploitation massive de la forêt amazonienne. Voilà les mutations dernières du pouvoir contre lesquelles la cravate impeccablement nouée d’un Berlusconi , la silhouette tirée à quatre épingles d’un Sarkozy ou le sourire optimiste d’Obama risque de basculer, sinon dans l’insignifiance, du moins,dans l’anachronisme.

Troisièmement, illusion quant aux hommes. Le G8 abuse de notre crédulité  en nous demandant de croire que ces huit hommes (ou quelque soit leur nombre,) puissent véritablement faire une différence significative à l’échelle mondiale. Il est là pour nous dire: Voici ceux d’entre les mains desquelles les destinées de la planète demeurent, ce sont eux les heureux dépositaires de l’histoire, regardez-les bien. Et ils y vont de leur petit opéra tragi-comique,se serrant les mains, glissant par ici un mot à un diplomate, par là un sourire pour la postérité. Mais là aussi il y a longtemps que les hommes individuels n’ont plus aucun poids dans le cours de l’histoire.Les grandes entreprises historiques sont perdues pour l’individu et même quand ce dernier croit avoir joué une part significatrice dans un tel dessein il peut être assuré qu’il a été le jouet de puissantes forces obscures qui, pour des raisons connues d’elles seules, ont préféré se terrer dans l’invisibilité.C’est pour cela que l’image la plus juste du G-8 est celle d’un danse qui avance  un temps  d’un pas pour mieux reculer de trois la seconde d’après. Pas une seule de ses décisions, pas une seule de ses résolutions, qu’il n’a aussitôt fait de violer à répétitions, au grand dam des militants altermondialistes  croyant avoir gagné au moins une bataille. Kyoto, Les détenus de Guantanamo, la fièvre du poulet, Gaza, les OGM, les fermiers de l’Europe, Kadhir, tous ses consensus achèvent au néant, tout ce qu’il resoud finit dans l’irrésolu, toutes ses conclusions se veulent par provision. Son échec porte la marque d’une suite répétée d’intentions bonnes qui se volatilisent aussitôt que matérialisées. Son échec est la tragédie des instances internationales ou le conservatisme  d’un éléphant peut à lui seul noyer toutes les intuitions novatrices du reste. Le G8 c’est, repris à l’échelle des hauts lieux de la politique, l’un des paradoxes les plus déroutants de la théorie de la complexité, voulant que le tout n’est  jamais la seule somme des parties. Souvent il se glisse à l’intérieur de ces dernières des asymétries tenaces, des alliances barbares, des dissonances étouffantes, des opacités infranchissables. Déjà les Castro, les Mao,les De Gaulle appartiennent à un monde qui n’a plus grand chose à voir avec le nôtre même si nous continuons encore de les vénérer.

Peut être bien qu’après tout, le monde s’en sort mieux avec le G8, peut être bien que les illusions sont nécessaires.