Le pauvre Charlemagne en perdrait son latin dans les ambitions du nouveau programme d’Éthique et Culture religieuse du gouvernement du Québec.Dès l’école primaire, l’État se donne les moyens de préparer ses futurs citoyens au dialogue et à l’ouverture envers les religions non chrétiennes. Un programme d’enseignement des rudiments du judaïsme, des sagesses autochtones,du nouvel âge,de l’hindouisme, de l’islam…sera dispensé aux écoliers sans aucune possibilité de se soustraire. Le but déclaré étant de réfléter dans le programme scolaire le pluralisme religieux tel qu’il prévaut dans la société  »en faisant appel au dialogue, on cherche à développer chez les élèves un esprit d’ouverture et de discernement par rapport au phénomène religieux et à leur permettre d’acquérir la capacité d’agir et d’évoluer avec intelligence et maturité dans une société marquée par la diversité des croyances ».

 Il est toujours bon, naturellement, de promouvoir la concorde universelle des religions; c’est même la marque  la plus sûre des grands esprits d’être chez eux dans toutes les grandes traditions philosophiques et religieuses. C’est toujours un triomphe pour l’esprit et la raison que le souci d’autrui, de ses absolus et de ses dieux.C’est toujours une excellente chose que cette diplomatie de l’altérité qui est la politesse des princes.Pour Francis Bacon, les troubles et l’adversité ramènent à la religion.

 Et pourtant un programme, comme le nouveau cours d’éthique et de culture religieuse, quelle que soit la noblesse de ses intentions, ne peut se permettre les infortunes  d’un bricolage trop hatif; un tel programme , en raison même des fils à haute tension qui le traversent de part en part, se doit dans ses applications d’être à la hauteur morale et philosophique de ses objectifs. Un tel programme,pour faire vraiment une différence, doit se garder de verser dans un révisionnisme trop complaisant de la chose religieuse. Un tel programme, s’il est vraiment conséquent avec l’histoire des religions, se doit, parallèlement aux grands évènements qui jalonnent le devenir des religions, de nommer les nombreuses errances, retracer le topo des dérives, articuler le long sillage de vacheries dont la chose religieuse n’a pas manqué d’être l’occasion.

Autrement il n’est qu’une carricature grotesque sans autre motif que le voeu misérable de flatter les instincts grégaires dans le sens du politically correct.Autrement il devient une religion version Mickey Mouse , si bien aseptisée et formatée pour les bonnes gens, qu’il perd par là même toute la pertinence de ses vélléités. J’ai du mal à  croire  qu’ au pays des accomodements raisonnables, l’école, avec ses hiérarchies respectables, sa police bien pensante, ses gardiens de service, puisse satisfaire à bien cette exigence d’exhaustivité et d’honnêteté, je n’ose dire de vérité. Oui exhaustivité, dis-je! Car une culture religieuse véritable ne saurait se contenter d’une présentation  mécanique  des figures de yahvé, de jésus, de Mahomet,du Boudha et de Krishna. La culture religieuse c’est aussi le sang des hérétiques qui forme la sève même de toutes les religions. Pas de religion sans hérésie.Pour l’écrivain français Ben Jelloun, l’amitié est une religion sans Dieu.

  Le nouveau programme pourra-t-il transmettre le goût des hérésies à ses destinataires? Si la réponse est non alors je dis sans ambages qu’il est inutile pour le XXI e siècle. Le seul esprit de religion dont nos citoyens ont besoin c’est le besoin de subversion et d’autonomie.

Le reportage de Radio Canada est très révélateur de la boîte de Pandore que le ministère vient d’ouvrir   http://www.radio-canada.ca/emissions/second_regard/2008-2009/Reportage.asp?idDoc=80352

Un an après l’entrée en vigueur de ce programme atypique il continue de soulever plusieurs questionnements majeurs. Tout d’abord l’école est-elle le lieu idéal de mettre en oeuvre cet effort organisé d’un dialogue avec les autres religions? .

 Un premier souci du côté de la réception : n’y a-t-il pas risque d’un  relativisme pernicieux par ce nivellement des valeurs dans un jeune esprit non encore muri à ses convictions religieuses personnelles.

  Un second souci quant à la transmission: est-ce raisonnable d’attendre des maîtres qu’ils soient aussi bons à enseigner Allah que l’énergie vitale , l’avènement du royaume des Témoins de Jéhovah que la doctrine du faible reste des juifs? 

  Ensuite qu’en est-il du droit des parents à la liberté de choisir le cours de religion de leurs enfants. La religion, après tout, ce n’est pas les sciences naturelles  ou l’économie familiale .Schleirmacher disait de la religion qu’elle est l’intuition de l’univers. Il y va de convictions ultimes et de l’ameublement fondamental des intuitions les plus personnelles_ sur soi,sur le monde et sur autrui.

 Enfin il faudrait se garder de faire de ce nouveau cours  une tentative de soumission de la tradition judéo-chrétienne à des visions du monde différentes. Depuis trois siècles au moins, le glas est sonné pour le christiannisme en Occident.Il n’est un seul philosophe qui ne  se soit  donné comme amusement de jeunesse d’écraser l’infâme. Souvent à raison,plus souvent encore  à tort, l’inconscient occidental l’associe avec  les guerres les plus sanglantes, les barbaries les moins qualifiables , les injustices les plus inhumaines.

Au Québec, particulièrement, dans sa version catholique,il est synonyme de dupléssisme ,de grande noirceur,d’anti-intellectualisme primaire. Bref, il stigmate tout cet arsenal  tristement  poussiéreux qui a fait dans les années 60 la nécessité de  la révolution tranquille, le handicap national  que les canadiens français durent abattre   pour  entrer dans le concert des démocraties modernes.Nul doute,pensent plusieurs,que dans une telle méfiance généralisée , le christianisme risque d’être le parent pauvre de ce melting pot religieux .Après tout, cette architecture d’intégration des nouveaux dieux dans la salle de classe se fait à l’heure des accomodements raisonnables, des kirpans,des érouv,du voile, des demandes d’exclusion aux cours de natation par de plus en plus de filles,des requêtes aux garderies de servir certains types de viandes. La  place de choix du christianisme dans le patrimoine religieux national aurait dû appeler plus de soin et d’attention de la part des décideurs.Il aurait fallu  une volonté de la protéger de la menace de disparition qui n’en finit de le tarauder.

Les religions nouvelles jouissant déjà d’ une longueur d’avance dans les représentations des médias et sur la place publique, le nouveau programme d’ Éthique et Culture religieuse vient d’institutionnaliser cet avantage, surtout dans le contexte occidental  de déchristianisation de plus en plus marquée.

Mais ça non plus,me direz-vous, c’est pas la faute à Charlemagne!

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