La programmation planifiée du pillage systématique du patrimoine forestier québécois tire à sa fin. Les oligarques du bois de la province, les mollah de la forêt boréale tremblent : après trois siècles interrompus d’inaction et de compromis généralisé, l’état québécois entend mettre un frein à la dérive suicidaire et génocidaire de l’industrie forestière de la province. Au royaume gourmand des multinationales du bois, dans les coulisses corporatives des seigneurs forestiers contemporains, un parfum de cataclysme court sur le destin placide des essences québécoises.L’ère des compromis est révolue. Désormais , les apparatchik du bois trouveront sur leur chemin  le bras contraignant et sanctionnant du gouvernement résolu à les forcer de soumettre leurs priorités mercantiles à des exigences tant écologiques que législatives claires et cohérentes.

Il fallait sévir contre les abus et errements révélés par le documentaire,  maintenant historique,  de Richard Desjardins. En effet, L’erreur boréale aura eu le mérite de fouetter la conscience nationale et de réveiller les Québécois de leur sommeil idéologique à l’égard des conduites et des pratiques suicidaires en vigueur dans l’industrie forestière de la province. Le diagnostic de Desjardins est dévastateur : coupes à blanc; concentrations de l’industrie aux mains d’une nuée de  corporation, pour la plupart, étrangères; déboisements à grande échelle; complicité des fonctionnaires négligents quant aux inspections et vérifications nécessaires à l’application des sanctions; absence de considération des spécificités des régions …

Des voix se sont levées de tout côté pour exiger des organismes et des institutions publiques une véritable politique du bois forestier au Québec. Il devenait inadmissible  de laisser le ministère des ressources naturelles perpétuer ce statu quo et compromettre à ce point le bien-être des générations futures par  ce manque total d’une vision intégrée pour l’écosystème forestier. Des alliances se sont tramées; des lobbies ont vu le jour; des commissions d’étude ont tenu lieu; des rapports en résultèrent; tous demandaient de nouvelles voies pour assurer la transition de l’industrie forestière de l’exploitation à la protection.

La réponse du gouvernement est arrivée enfin par le biais de ce projet de loi 57:  »assurer la pérennité du patrimoine forestier et à implanter un aménagement durable des forêts. À cette fin, il favorise une gestion intégrée et régionalisée des ressources et du territoire forestier » tel sera le mot d’ordre de la nouvelle gestion forestière.  Ce nouveau régime devrait entrer en vigueur dès 2013 modifiant du même coup le régime actuel Loi sur les forêts (L.R.Q., chapitre F-4.1) . Plusieurs lois seront modifiées si cette loi devait être adoptéeLoi sur l’aménagement et l’urbanisme (L.R.Q., chapitre A-19.1) ; Loi sur l’assurance-prêts agricoles et forestiers (L.R.Q.,chapitre A-29.1); Loi sur les cités et villes (L.R.Q., chapitre C-19) ; Code de la sécurité routière (L.R.Q., chapitre C-24.2) ; Code du travail (L.R.Q., chapitre C-27) ; Code municipal du Québec (L.R.Q., chapitre C-27.1) ; Loi sur les compétences municipales (L.R.Q., chapitre C-47.1) ; Loi sur la conservation du patrimoine naturel (L.R.Q.,chapitre C-61.01) ; Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (L.R.Q.,chapitre C-61.1) ; Loi sur le crédit forestier (L.R.Q., chapitre C-78) ; Loi favorisant le crédit forestier par les institutions privées (L.R.Q.,chapitre C-78.1) ; Loi sur la fiscalité municipale (L.R.Q., chapitre F-2.1) ; Loi sur les impôts (L.R.Q., chapitre I-3) ; Loi sur les mesureurs de bois (L.R.Q., chapitre M-12.1) ; Loi sur les mines (L.R.Q., chapitre M-13.1) ; Loi sur le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (L.R.Q., chapitre M-14) ; Loi sur le ministère des Affaires municipales et des Régions(L.R.Q., chapitre M-22.1) ; Loi sur le ministère des Ressources naturelles et de la Faune(L.R.Q., chapitre M-25.2) ; Loi sur la mise en marché des produits agricoles, alimentaires etde la pêche (L.R.Q., chapitre M-35.1) ; Loi sur les pesticides (L.R.Q., chapitre P-9.3) ; Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (L.R.Q.,chapitre P-41.1) ; Loi sur la qualité de l’environnement (L.R.Q., chapitre Q-2) ; Loi sur le régime des terres dans les territoires de la Baie-James etdu Nouveau-Québec (L.R.Q., chapitre R-13.1) ;Loi sur la sécurité incendie (L.R.Q., chapitre S-3.4) ; Loi sur la Société des établissements de plein air du Québec(L.R.Q., chapitre S-13.01) ; Loi sur les terres du domaine de l’État (L.R.Q., chapitre T-8.1) ; Loi sur les véhicules hors route (L.R.Q., chapitre V-1.2).

Deux règlements seront abrogés si cette loi devait être adoptée:

Règlement relatif aux contributions au Fonds forestier (Décret no 418-89, 1989, G.O. 2, 1947);

Règlement sur les plans et rapports d’aménagement forestier(Décret n o 328-2002, 2002, G.O. 2, 2071);

En quoi cette nouvelle architecture du régime forestier contribue effectivement à concilier la normativité de durabilité,les exceptionalismes des communautés autochtones à la nouvelle donne écologique? Quelles sont les lignes de force de  cette nouvelle vision de la forêt?

Analyses et commentaires

La nouvelle Loi voudrait codifier les dernières mutations sociologiques,culturelles et écologiques autour de la forêt.Elle dégagera, pour le faire, un espace ou elle entend ériger la clôture du discours forestier actuel. Son défi: instituer la durabilité de la forêt comme paramètre juridique viable et pertinent dans la nouvelle économie juridique . Elle mettrait  en oeuvre une architecture qui va procéder à plusieurs substitutions .D’abord, la forêt devient territoire forestier. Il s’agit là d’une extension de l’ancien ordre forestier, restrictif au sol et aux produit ligneux, à un ordre plus englobant et plus compatible à l’idée d’écosystème.Désormais le législateur se propose d’entendre la forêt comme un tout global dépassant le cadre strict et étroit de la production forestière.Même les chemins de forêt de l’ancienne Loi deviennent chemins multiusages.Toutefois cet enrichissement extensif de la forêt ne va pas sans poser des questionnements importants tant théoriques que pratiques.

Ensuite, toute loi procède nécessairement par abstraction obligée. La forêt dans la loi demeurera nécessairement le résultat d’une détotalisation, d’un arrachement au tissu du réel au cours duquel elle gagnera son intelligence juridique. Elle doit perdre ses paysages enchanteurs, ses cours d’eau ruisselant dans le matin clair,l’odeur de ses pins majestueux embaumant les rêveries, elle doit perdre son caractère de forêt empirique et naïve pour devenir une forêt juridiquement investie. Car ce que le droit veut faire intervenir dans la forêt ce ne sont pas seulement des promeneurs solitaires , des mystiques occasionnels ou des philosophes contemplatifs mais des êtres de fiction comme la personne raisonnable ou l’occupant responsable ou encore l’écosystème exceptionnel . Autant de catégories conceptuelles grâce auxquelles le droit dit ses possibilités et nomme son étendue. Quand le droit déroule sa toile fictive autour de la forêt,cette dernière subit comme toute autre entité juridique,des métamorphoses complexes nécessaires à son intégration juridique.

Si pour mieux dire ses énoncés sur la forêt, le droit est forcé de brouiller les contours de l’autre forêt,empirique et naïve, cette ruse de la raison légaliste ne saurait servir de porte faux à l’exigence d’intégrité conceptuelle qui la soustend: à savoir, quelle est l’étendue de la forêt version écolo de ce projet de Loi. Ou commence le fameux territoire forestier et ou termine t-il? Est-ce que l’oxygène ,les gaz à effet de serres ,les couches de la nappe phréatique, la population des algues du Saint-Laurent pour ne rien dire du diesel des moyens de transport dans les chemins forestiers sont pris en compte dans l’économie du nouveau territoire forestier.

En troisième lieu, se pourrait-il que le système du droit en tant que clôture normative du discours soit une approche écologique à la fois inopérante et  incohérente dans le contexte actuel? Car le droit veut clore alors que l’écologie veut procéder à l’intégration d’une ouverture globalisante. Pour dire rapidement il semble que le droit enferme, quand l’écologie tend à ouvrir.La question d’une incompatibilité est ouverte. Dans cette perspective un droit environnemental fait figure de paradoxe .

Finalement, rappelons les principales mutations historiques dans les rapports de l’homme à la forêt.

Au XIXe s la forêt est intégrée dans une vision romantique. Elle est devenue le refuge de l’individu assoiffé de nouveaux dieux.On assiste alors à un réenchantement qui prend l’individu,ses profondeurs dionysiaques,ses intuitions primitives pour programme explicite,dans le but déclaré de conquérir  un homme libre et irréductiblement lui-même,se réconciliant enfin avec soi-même et résistant aux fabrications aliénantes que lui impose l’ordre social de l’histoire et de la Culture,que ce soit sous la forme du génie,du saint ou du héros.

L’anthropologie culturelle moderne naît avec l’étude de Frazer sur les bois sacrés de Diane à Nemi:Le Rameau d’or .Une théorie de l’évolution des croyances allant de la magie à la religion.Il a introduit la forêt et les bois dans les études sur l’histoire des croyances religieuses à travers les cultes du renouveau de la végétation ou de sa mort .

Mircea Eliade dans son Traité d’histoire des religions campera une typologie de l’arbre comme symbole religieux tel l’arbre-image du cosmos dont l’exemple le plus fameux est le frêne Yggdrasil qui est fréquent dans les contes de la mythologie germanique, retranscrits au Moyen-Âge par les poètes scandinaves.

Dans l’Inde brahmanique, la forêt se désertifie, sur les axes d’une hiérarchie négative par rapport au village.Elle est l’en-deça de l’espace normée ou l’au-delà de cette dernière.Elle est entre le Grama et l’ara(n)ya,ce dernier terme connotant l’idée de l’autre,ce vers quoi on part quand on quitte le village.C’est le vide, la suspension de l’ordre spatial proprement dit ou les repères connus de la civilisation se brouillent.Ceux qui s’y aventurent sont ou des brigands ou des dieux.

D’abord espace mythologique, ensuite espace religieux ,puis espace anthropologique depuis Frazer, elle est aujourd’hui le lieu ou se déploient les lois économiques articulant les modalités d’une intégration écologique viable.

Au Québec, la forêt a été tour à tour _ la pharmacie des Premières Nations;le grenier des trappeurs;l’écran de projection des fantasmes d’autodestruction  collective(par le biais de la peur des incendies);colonie pénitentiaire des rebelles de droit commun;refuge des fugitifs;matrice d’une symbolique identitaire de l’érable ou des pins;espace d’organisation pratique de la botanique locale;symbole de vitalité économique grâce  aux exportations faramineuses des pâtes et papiers;courroie de développement régional;champ d’affrontement privilégié de la nouvelle guerre écologique.

Elle est aussi une orientation idéologique du fonds patrimonial. La forêt est le laboratoire de mécanismes nouveaux de fiscalité.Elle délimite le partage entre les territoires urbains et les collectivités rurales.Elle dit ce qu’une collectivité considère comme le propre de tous(comme les mines et les ressources du sous-sol) et les parts de chacun. Elle ordonne les valeurs associées à une esthétique de la faune locale selon les paramètres d’une botanique naïve en temps normal, agressive en période de réforme sociale.

Elle distribue des savoirs divers,elle légitime des espitémé hétérogènes.Avant la colonisation son espace discursif et épistémologique ordonnait les possibles de la santé et de la maladie .Elle formait alors grossomodo la structure ,tantôt stable,tantôt dynamique,d’une pharmacie pour les Premières Nations.Les lignes holistiques de l’échange entre ces tribus indiennes et les produits de la forêt plaçaient cette dernière dans un tout ordonné ou se référençait le partage du sain et du malade.

Depuis la nécessité de soumettre l’arbre à des mesures homogènes et standardisées,depuis la mise en oeuvre d’un dispositif servant à cataloguer les stades de sa croissance,à chiffrer l’âge ou il est décrété mature et donc prêt à être abattu, depuis que l’on greffe sur ses pratiques les spéculations calculatoires  de coût vénal, depuis le passage d’une botanique traditionnelle et naïve à une botanique agressive et mercantile, la forêt ne cesse de multiplier ses profils discursifs,consommant toutes les idéologies,accueillant tous les paradigmes.

la mutation écologique est la dernière tentative de réenchanter l’univers forestier.Seulement il ne s’agit pas comme l’enchantement romantique du siècle dernier,d’un retour aux sources,d’une nostalgie de l’origine,bref d’une généalogie vertueuse,il s’agit cette fois d’enchanter la forêt en y introduisant la présence de vies à venir,le souci de générations futures,l’orientation d’un but ,bref,cette fois-ci,une téléologie éminemment messianique. De la fiction de l’origine on passe en moins d’un siècle à la fiction d’une fin. Dans le premier, la forêt permet la reconquête, en nous, des forces enfouies de l’enfant,du primitif,de l’artiste et du génie; dans le second, elle constitue les termes d’une dette dont chaque génération doit s’acquitter envers les générations ultérieures.Romantisme de l’origine ,messianisme de la fin.

En outre, la forêt résulte également d’une lecture interprétative du paysage, elle  n’est jamais indifférente aux mutations sous-jacentes à l’histoire des idéologies du paysage..C’est d’abord, selon le géographe Y.Lacoste, une invention des militaires: <<Bien avant qu’on porte aux paysages réels une  esthétique(par opposition aux paysages représentés), les hommes de guerre y avaient déjà porté une attention extrême étroitement liée bien sûr à de soucis stratégiques et surtout tactiques.Observation du terrain depuis un point de vue dominant,pour organiser le champ de bataille, sinon sa mise en scène. De cette attention portée, bien plus efficace que la lecture d’une carte,naît le paysage>>. Un regard projeté sur la terre,sur le terrain des opérations, une pratique guerrière.(Y.Lacoste).En fait, le paysage est un art de la guerre avant d’être une pratique de l’art.<<L’observation des paysages sert d’abord à faire la guerre>>, conclut Lacoste.Le regard du soldat façonne le champ de guerre de ses prises aériennes.Il trace la migrance des troupes selon les sauts du terrain. Ici un pic qui sert à balayer visuellement le camp ennemi, là une butte pour camoufler les renforts, là encore,une plaine pour le déploiement des fantassins,plus loin, un taillis pour le repli. La forêt québécoise est donc l’expression d’un rapport de forces ou se jouent des conduites   éminemment liées au pouvoir.Au Québec le paysage a d’abord été façonné par les impératifs de la stratégie militaire.Les terres boisées abritaient les troupes françaises contre les menaces constantes de l’envahisseur anglais.

Évidemment la forêt n’est pas un droit universel.Il faut la mériter.Quand l’état consent à partager ses terres avec les institutions privées, que ce soient des organismes ou des entreprises d’exploitation, il s’attend de la part de  ces derniers qu’ils acceptent volontiers de se soumettre à un protocole d’admissibilité homogène. Au Québec, une loi sur les crédits forestiers pour les institutions privées traite de ces concessions au privé des terres de l’état.

Finalement, le feu, les pesticides et les véhicules routiers cristallisent les mences permanentes auxquelles la forêt s’expose.Ils exigent alors de la part des décideurs une logistique de prévention et d’intervention qui soit à la fois opérationelle et raisonnable. La question des accidents de travail en forêt demeure une problématique épineuse puisque l’accès aux chemins de forêt ne se fait pas toujours dans des conditions idéales.

Politique de consultation . Tout ce que mentionne le projet C57 c’est un vague  » il constitue la Table des partenaires de la forêt  dont il nomme les membres et définit les règles de fonctionnement ». On sait par ailleurs que les autochtones seront plus écoutés dans le cadre de la nouvelle Loi. Or grand soin doit être pris pour que ne soient exclues de la table de consultation des acteurs ou organismes communautaires émanant du milieu écologique .Car l’image de la forêt québécoise ne concerne guère uniquement les bonzes de l’industrie forestière .C’est un souci collectif qui demande à intégrer des considérations écociviques à tous les niveaux de la production forestière. Puisqu’il s’agit de moderniser les rapports de l’homme québécois et de la femme québécoise avec ce support privilégié de l’imaginaire collectif national qu’est la symbolique de la forêt,les consultations doivent être le plus larges possibles,englobantes et intégrales. En  fait, la manière la plus sûre pour le gouvernement de s’assurer d’une compatibilité écologique de ce nouveau plan c’est justement d’ouvrir ces consultations à ceux qui ont été à l’avant poste du nouveau paradigme de durabilité . On pense à Equiterre, Québec Nature, Consommation responsable,Centre ressource du développement durable…cliquer ici pour l’intégralité de l’article

Én ce qui touche à l’aménagement durable, l‘idée d’une collaboration prévue avec le ministre du Développement durable,  de l’environnement et des parcs est un pas appréciable vers une politique coordonnée de durabilité mais elle est loin d’être suffisante. Des acteurs institutionnels de choix comme les universités ou les centres de recherche agricoles et forestière devraient faire partie des axes de coordination.

Etat,organismes régionaux,communautés autochtones, autres

Règles de délimitation des unités d’aménagement

Règles de désignation des zones de sylvicuture intensive

Règles sur les forêts d’expérimentation

Pas de politique forestière véritable sans expérimentation et anticipation de nouvelles technologies et méthodes forestières.L’état doit se donner les moyens d’être en avance sur les tRègles sur les forêts d’enseignement et de recherche

Règles sur les stations forestières

Règles sur les refuges biologiques

Règles sur les écosystèmes forestiers exceptionnels

Règles du chemin forestier éliminées

Règles sur le chemin multi usage

reconduction du poste de forestier en chef et concept de possibilité forestière

Responsabilités ministérielles quant à l’attribution des droits

Institution d’un Bureau de mise en marché des bois

Maintien des règles concernant les forêts privées, les organismes régionaux, les agences de protection de la foret

Dispositions quant aux inspections et aux vérifications  relatives à l’application de la Loi

Implantation des commissions régionales des ressources naturelles et du territoire

Institution d’un fonds de gestion de l’occupation du territoire forestier

Création de forêts de proximité

Constitue un chemin multiusages un chemin, autre qu’un chemin minier,construit ou utilisé en vue de permettre l’accès au territoire forestier et à ses multiples ressources.

2 réflexions sur “Chronique des ombres boréales

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