C’est la permanence de la mort qui frappe dans  la destinée incomparable de cet homme inachevé doublé d’un  génie titanesque.   Depuis le non-lieu de son enfance.Bien avant sa prodigieuse  épiphanie tout aussi fulgurante que tragique. D’un lieu impossible d’être nommé, d’un temps incalculable, Michael Jackson a toujours été mort.

Il est d’abord mort par la tyrannie domestique avec laquelle Papa Jackson a organisé son enrôlement artistique. Ce regard vindicatif du père, se substituant à la loi et l’ordre, bourreau de l’intimité, cette voix de la démesure autoritaire, cette police familiale et familière l’a vidé depuis l’enfance de cette béance que nous appelons la vie. Si Germaine, Janet et les autres ont été plus chanceux quant à leur construction identitaire, c’est peut-être aussi parce qu’ils étaient moins artistes que Michael, immanquablement moins sensibles que lui. Ces répétitions improvisées à toute heure, ces olympiades spartiates qui transformaient la petite enfance en exercices  perpétuels de musiques et de chants, ces vociférations encolérées dans les halls d’église, dans les chambres d’hôtel à l’heure ou les enfants de son âge s’endormaient dans les bras reposant de leur mère, toute l’orchestration douloureuse de cette tyrannie du devoir, voilà la première mort de Michael. Son corps s’est peu à peu effondré sous les décibels cinglants de la voix de ce père,fou de gloire, avide de célébrité. Son corps avait, en quelque sorte, inscrit, dans les profondeurs de sa chair, le venin de cette amputation de lui-même, marqué à vie , castré pour jamais. Cette vorace indiscrétion du paternel dans le choix de son destin est le plus impardonnable des viols puisque c’est sa vie même qui lui a été ravie. Les petites horaires réglées comme une horloge, le rituel cinglant des petites compétions de musique sous le regard tranchant de Papa Jackson, les petites excursions dans le voisinage ou on l’exhibait déjà comme l’enfant prodige de la musique, la suite endiablée des épreuves de répétition domestique,  en un mot, cet efficace programme de dressage artistique qui se déroulait jour et nuit  autour de lui, voilà comment on avait commencé à chasser, sournoisement, la vie, devant les pas de Michael Jackson.

Ensuite il est mort écrasé  sous le poids de la tyrannie du paraître. Il voulait tellement plaire, tellement bien paraître (c’est ainsi que son père l’avait dressé) qu’il choisit de se refugier dans l’artifice, le simulacre, le semblant, refusant aux autres toute possibilité d’accéder à son moi. Il offrit donc universellement un mur infranchissable composé de ses gants énigmatiques, ses vestons aux épaulettes loufoques, ses pantalons de latex éclatants, du cuir, du cuir, beaucoup de cuir. Mais il poussa plus loin encore son mur. Jusqu’à son nez qui avait perdu toute l’épaisseur du réel, ses lèvres   immatérielles et morbides , ses yeux d’oiseau blessé à mort. Quant à sa peau, qu’on voyait si légère qu’on pouvait avec raison se demander si elle n’allait pas léviter de son corps à tout moment, il s’était fixé comme programme principal de la soumettre à  l’éxtrême torture d’un blanchiment momiesque ; tout en lui allait participer dans sa chair même à cette dramatisation de la mort. N’ayant pu supporter l’épreuve, qui est celle de nous tous , de jeter son moi aux autres sans aucune garantie que ce dernier soit reconnu par eux comme un soi authentique et digne de leur humanité  , il  résolut  de leur envoyer un substitut chimérique qu’il avait fait fabriquer sur mesure, tout  rassuré d’être hors d’atteinte,  si jamais la chimère devait décevoir par rapport aux attentes.  L’artiste et son double. Il ne l’avait pas inventé. Sa novation c’en est la  version matérielle. C’est sa deuxième mort dont il est loin d’être impossible qu’elle n’origine de la première. De l’impossibilité de plaire à papa la tentation d’un corps artificiel de séduction , mais   invulnérable à tout jugement.

Finalement il est mort étouffé par les rumeurs de scandale et de démesure personnels. Il ne pouvait vivre , lui l’enfant chéri des anciennes congrégations de Témoins de Jéhovah, il ne pouvait vivre dans cette cohue d’accusations, sous cette pluie battante d’apostasies , dans cette mare boueuse de quolibets et de soupçons qui  empoisonnaient sa vie privée. Il se retira à Dubai.  là encore, Il répéta sa mort. Il entretint ,dans le plus grand secret d’une tour d’ivoire enmurée dans le désert, sa propre néantisation , il mima sa prochaine  disparition,  il mit en scène sa condamnation profonde, il but ses revers à pleines dents, il dramatisa sa mort.   Lui qui n’a jamais été fait pour la compagnie des hommes, voilà que maintenant celle de leurs petits lui était interdite, il mourait Michael, il n’a jamais cessé de mourir. Moonwalk  c’était bien cela finalement une danse funèbre, l a danse du gars qui voulait en finir avec la pesanteur accablante du vivre, la réponse ingénieuse d’un oiseau qui voulait arrêter le temps et défier la loi des corps qui naissent, grandissent et se corrompent. 

Toute cette histoire me fait penser à Blanchot.<<Mort, tu l’es déjà, d’une mort qui ne fut pas tienne, dans un temps immémorial,que tu n’as donc ni connue ni vécue, mais sous la menace de laquelle tu te crois désormais appelé à vivre…>>

2 réflexions sur “Michael Jackson : De l’antériorité de la mort

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